Par Lucas Sabatier
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Alors que les mentalités évoluent de toute part, la quête de réels leviers de transformations s’intensifie. Dans ce sillage, les méthodes « nudges » arrivent avec une idée nouvelle : et si l’action était plus efficace que la réflexion ?
Inciter sans brusquer
Le concept de « nudge » ou « coup de pouce » en français est né à partir des travaux des psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky et de leur Théorie des Perspectives de 1979(1).
C’est en 2008 que l’un des fondateurs de « l’économie comportementale » et prix Nobel d’économie 2017, Richard Thaler, et à ses côtés le juriste Cass Suntein(2) ont repris les travaux des psychologues en nommant cela le « paternaliste libertaire ». Ces deux notions, souvent antinomiques précisent bien l’idée générale de la méthode « nudge » qui consiste à « faire changer le comportement d’un individu sans le contraindre ».
A l’intersection des Sciences Neuro-comportementales, de la Psychologie Sociale et de l’Économie, cette méthode a d’abord été utilisée dans le cadre de politique de santé publique et environnementale : le recyclage des déchets, le don du sang, les transports mais aussi de plus en plus dans le secteur alimentaire.
Parmi les exemples les plus récents, l’initiative de Stockholm :
Dans le but d’inciter les passants à emprunter les escaliers, Stockholm a un installé un clavier de piano géant. Les résultats ont été édifiants, plus de 66% des utilisateurs ont choisi les escaliers sonores plutôt que les escalators.
Des fausses mouches dans les urinoirs
Autre exemple très populaire, l’aéroport d’Amsterdam a cherché à améliorer à la fois l’hygiène des sanitaires et réduire ses frais de nettoyage. Pour cela, une fausse mouche a simplement été collée au fond de chaque urinoir de l’aéroport. S’installe alors un jeu entre l’homme et l’autocollant, permettant ainsi de réduire de 80% les coûts de nettoyage.
A gouts différents, ces « coups de pouces » entrainent donc les individus vers des comportements positifs, bienveillants, économiques, voire écologiques. Sans qu’aucune contrainte réelle n’y soit apposée. Leur utilisation présente deux avantages majeurs : leur faible cout et le maintien des libertés individuelles.
S’inspirer de nos biais cognitifs décisionnels
La théorie des perspectives de Daniel Kahneman et Amos Tversky démontre la manière dont les individus évaluent de façon inégale leur perspective de gain et de perte. Notamment, la peine de perdre 1 000 euros ne pourrait être compensée que par le plaisir de gagner 2 000 euros. Plus largement, ces études montrent qu’un individu n’est pas rationnel dans les décisions qu’il prend. Cette irrationalité serait perturbée par des biais cognitifs. Il existerait un nombre considérable de biais sur lesquels il est possible d’agir.
Les nudges au service du Change Management
Aujourd’hui, la rémunération ne suffit plus à susciter l’engagement des salariés. Les notions de sens et d’éthique dans le travail sont essentielles au développement à leur sentiment d’appartenance. Cependant, les changements sont souvent difficiles à opérer et les salariés se sentent peu concernés. Dans des problématiques aussi diverses que la santé des collaborateurs, l’environnement de travail, la productivité ou le bien-être, le nudge apparait donc comme une alternative intéressante à mettre en place pour transformer doucement l’entreprise.
A titre d’exemple, le Massachussetts General Hospital a mis en place un classement des repas par couleur en fonction de leur caractère « sain » ou « néfaste ». Chose qui a permis d’orienter significativement le choix des consommateurs.
D’autre part, pour réagir aux évolutions digitales et organisationnelles dans un contexte concurrentiel, les entreprises font face à la nécessité de se réinventer continuellement et rapidement. Aux yeux de nombreuses institutions, les nudges apparaissent comme la solution pertinente qui replace l’humain au cœur à la transformation. Boston Consulting Group estime que l’utilisation des nudges contribuerait à augmenter jusqu’à 80% la mise en place d’initiatives de changement.
Une solution miracle ?
A en croire Eric Singler(3), directeur du BVA Nudge Unit, le « nudging » permet de « conduire des changements efficacement, rapidement et à moindre coût ».
Toutefois, malgré le potentiel que les chercheurs lui prête, la méthode est pointée du doigt sur plusieurs aspects.
En effet, le « nudging » incite un changement comportemental provoqué par un élément externe (le nudge). Selon les études de Deci & Ryan(4), lorsque la motivation est induite par un facteur externe, c’est une motivation extrinsèque qui prime. Il n’est donc pas question avec le nudge de susciter une réelle motivation intrinsèque chez l’individu. Le comportement n’est pas ancré et on pourrait craindre que l’habitude bienveillante s’estompe progressivement.
Par ailleurs, les études de Khan & Dhar(4) ont montré que des comportements induits chez un individu pouvaient avoir un effet de « compensation morale ». Effet étudié en psychologie sociale, qui soutiendrait l’idée qu’un individu ayant exécuté un comportement moralement acceptable, s’engagerait par la suite plus facilement dans des comportements immoraux. Par conséquent, les efforts mis en place pour encourager des comportements bienveillants peuvent avoir des effets de rebond négatifs dans d’autres domaines.